Cité bicéphale, Quimperlé est composée d’une ville basse située au confluent de l’Isole et de l’Ellée, centrée sur l’abbaye Sainte-Croix, et d’une ville haute, dominée par l’église Saint-Michel. Une voie médiévale, aujourd’hui dénommée rue Savary, relie les deux entités urbaines.
Le contexte
Au bas de la rue Savary, au n°8, une maison en pan de bois a récemment retrouvé son aspect d’origine après deux ans de réflexion et de travaux. En 2018, son nouvel acquéreur décide de redonner un peu d’éclat à la façade sur rue, ternie par un enduit en ciment altéré qui la recouvre entièrement. La maison, étant inscrite au titre des monuments historiques depuis le 19 octobre 1925, une demande d’autorisation de travaux est déposée auprès de la conservation régionale des monuments historiques de Bretagne avec, pour objet, la suppression de l’enduit ciment et la mise en œuvre en remplacement d’un enduit à la chaux. Après discussion, portant sur les objectifs et les attendus de la restauration de la façade, entre le propriétaire, le conservateur régional des monuments historiques et l’architecte des bâtiments de France, l’autorisation est délivrée le 5 juin 2018. Le principe de la mise en œuvre d’un nouvel enduit, choix du propriétaire, est accepté, mais, à la demande de l’administration en charge des monuments historiques, cette remise en enduit est conditionnée à d’éventuelles découvertes au cours du chantier. Il conviendra donc dans un premier temps de dégrader l’enduit ciment et, dans un deuxième temps, de constater le dessin général de la façade en pan de bois ainsi que son état et, enfin, de juger de l’opportunité de mettre en œuvre l’enduit prévu ou de laisser l’ensemble découvert visible.
Présentation de la maison
Les bases de données du service de l’inventaire de Bretagne et du ministère de la Culture sont sommaires concernant ce bâtiment : quelques généralités sur son emplacement et son mode constructif, ainsi qu’une datation estimée au XVIe siècle. De même, jusqu’à la réalisation des travaux, peu d’informations étaient livrées par les éléments constitutifs visibles de cette façade.
L’immeuble est construit perpendiculairement à la pente générale de la rue Savary. La façade sur rue, côté est, est composée d’un rez-de-chaussée surmonté de deux étages carrés et d’un pignon. Un encorbellement, de faibles dimensions, est présent entre chaque niveau. Le rez-de-chaussée est constitué d’une vitrine commerciale récente et d’une porte permettant un accès indépendant aux étages. Les premier et deuxième étages sont chacun percés de deux baies de proportions verticales. Le pignon est percé de deux petites ouvertures. Dans leur dessin et leurs proportions, les menuiseries des étages sont caractéristiques du XVIIIe siècle. La forme des baies et leurs proportions font également référence au XVIIIe siècle, ce qui tendrait à montrer que cette façade a connu une transformation à cette époque. Des dispositions originelles du pan de bois, rien ne transparaît, à l’exception de consoles de part et d’autre de la façade, au rez-de-chaussée, premier et deuxième étages. L’iconographie ancienne n’apporte pas de renseignement complémentaire.
Au deuxième étage sur rue, côté nord, un édicule pourvu d’une petite baie côté rue est accolé à la façade. Il est construit en pan de bois, soutenu par un massif maçonné. Sa largeur correspond à la largeur d’une venelle ancienne aujourd’hui partiellement comblée par la construction d’un immeuble sur la parcelle voisine au XIXe siècle. L’hypothèse de latrines a été évoquée, de même que l’idée d’un petit poste d’observation du port de Quimperlé situé en contre-bas, décalé latéralement afin de ne pas être gêné par la façade de l’immeuble situé de l’autre côté de la rue. Quelle que soit sa fonction, il est à noter que la survivance de ce type d’édicule en pan de bois et en milieu urbain est rare en Bretagne.
Les dispositions intérieures
L’intérieur du bâtiment a conservé une organisation caractéristique des immeubles commerciaux datant de la fin du Moyen-Âge et de la Renaissance. Le rez-de-chaussée est originellement indépendant des étages. L’accès au commerce se fait par le centre de la vitrine. Rejetée à gauche de la façade, une seconde porte donne accès, au fond d’un couloir, à un escalier en bois en forme de vis. Les premières marches sont en pierre, les marches suivantes et le noyau sont en bois. L’escalier dessert tous les étages, y compris les combles. À l’intérieur de l’édifice, depuis cet escalier, on accède d’un côté à une pièce donnant sur la rue Savary ou de l’autre côté à une pièce donnant sur l’arrière du bâtiment. À noter qu’au rez-de-chaussée et au premier étage, la façade arrière est aveugle car construite contre le flanc de la colline. Des ouvertures latérales donnant sur la venelle apportent alors un peu de lumière.
Une façade ancienne intacte
La suppression de l’enduit ciment est réalisée au second semestre 2019 sur l’ensemble de la façade et révèle que la quasi-intégralité des dispositions originelles datant du XVIe siècle est toujours présente. Lors de la modification de la façade au XVIIIe siècle, tous les bois formant la façade originelle ont été récupérés et/ou déplacés et remployés dans la façade. À titre d’exemple, des traverses anciennes ont été utilisées pour servir d’appui aux nouvelles baies. Quelques traces d’assemblage (chiffres romains) ont été observées. L’ensemble des bois est dans un remarquable état de conservation.
En détail, on observe que :
- le premier étage est composé de six baies avec traverses hautes. La traverse de chacune des baies est décorée d’une accolade sculptée. Cet ensemble d’ouvertures est flanqué de part et d’autre d’une travée avec croix de Saint-André sur toute la hauteur du niveau ;
- le deuxième étage est composé de sept baies avec traverses hautes. Les mêmes décorations en accolade sont présentes sur les traverses. À ce niveau, les baies sont flanquées de pièces de décharges ;
- le niveau de comble est composé de deux baies, sans trace de décor en accolade.
D’autres éléments de décor devaient originellement être présents. Sur les poteaux des premier et deuxième étages, des traces de sculpture sont visibles sur presque toute la hauteur. Il s’agissait vraisemblablement de consoles et de colonnettes, composant ainsi une façade richement décorée. Ce décor saillant a été bûché, sans doute lors de la mise en œuvre d’un enduit sur la façade.
Entre les bois composant l’ossature de la façade, le hourdis est constitué de torchis avec éclisses en bois, couvert d’un enduit.
L’analyse par dendrochronologie
Devant la richesse et l’intérêt de la découverte, il a été décidé de réaliser une analyse par dendrochronologie des bois de la façade et de diverses poutres présentes dans le bâtiment. Cette étude, réalisée par l’entreprise Dendrotech, a permis d’apprendre que l’ensemble de la façade, y compris l’édicule latéral, est chronologiquement homogène, construit d’un seul jet. La façade a ainsi été datée des années 1580-1584. Il s’agit donc d’un exemple remarquable d’une façade en pan de bois aux dispositions quasi-intactes datant de la deuxième moitié du XVIe siècle. Cette analyse a également permis d’apprendre que l’arrière du bâtiment a été construit ou modifié dans un second temps, à la fin du XVIIe siècle.
Le choix de restauration
Le choix de restauration d’un édifice construit avec la technique du pan de bois est toujours délicat. Conserver l’état actuel, authentique, témoin des évolutions de l’architecture et des modes de vie, ou restituer un état antérieur, souvent plus séduisant, mettant en avant l’ancienneté du bâtiment, mais faisant fi de plusieurs siècles d’histoire et risquant de supprimer des bois anciens issus de transformations postérieures à l’état originel.
Dans ce cas précis, les échanges entre les différents acteurs du projet ont rapidement fait émerger un point de vue unanime : la qualité des décors méritait qu’ils soient visibles, la quasi-totalité des bois date de l’origine du bâtiment. Conserver cette façade en l’état, sans enduit, aurait été dépourvue de sens.
La question de la polychromie
Le travail de restitution de cette façade s’est doublé en parallèle d’une discussion sur la polychromie de l’édifice. L’enduit ciment ne contenait aucune trace de décor. Sous l’enduit ciment, des vestiges d’enduit à la chaux de teinte beige ont été retrouvés. Sur les vestiges de cet enduit à la chaux a été reproduit, à l’ocre rouge, le dessin des bois recouverts. Enfin, sous l’enduit à la chaux, les bois sont recouverts d’un badigeon de teinte ocre rouge. Il s’agit de la seule teinte retrouvée sur les bois.
Au niveau des moulures des sablières, une teinte ocre rouge plus sombre, sans doute additionnée de noir, a été observée. Cette technique a pour effet visuel de donner du relief aux moulures vues depuis la rue. Quant au hourdis, les enduits anciens qui le recouvrent sont badigeonnés à l’ocre jaune.
On peut donc déduire de ces observations les différentes étapes de l’évolution de l’aspect de la façade :
- étape 1 (années 1580–1584) : la façade en pan de bois est visible. Les bois sont badigeonnés à l’ocre rouge et les hourdis à l’ocre jaune. On ne peut néanmoins exclure que ce badigeon à l’ocre soit plus tardif, c’est-à-dire absent de la façade originelle, celle-ci pouvant alors être uniquement chaulée ou badigeonnée à l’huile incolore par exemple ;
- étape 2 (au XVIIIe siècle) : la façade est modifiée et couverte par un enduit à la chaux, les décors saillants sont bûchés. Sur cet enduit sont dessinés à l’ocre rouge les bois couverts ;
- étape 3 (au XIXe ou XXe siècle) : un enduit ciment dépourvu de décor est mis en œuvre.
Le choix de restauration de la façade s’étant porté sur une restitution du dessin originel datant de la deuxième moitié du XVIe siècle, et les teintes les plus anciennes retrouvées étant ocre rouge pour les bois et ocre jaune pour les enduits, il a été décidé de reconduire ces dispositions supposées originelles. Les bois sont donc couverts d’une préparation de teinte ocre rouge réalisée à base d’huile, et le hourdis est couvert d’un enduit à la terre badigeonné avec une préparation réalisée à base d’une terre jaune locale.
Les intervenants
Comme c’est toujours le cas, la réussite d’un chantier de restauration ambitieux est le fruit de la mobilisation et de la volonté des différents acteurs :
La maîtrise d’ouvrage a été assurée par le propriétaire, souvent inquiet devant l’évolution de son chantier, toujours motivé pour le mener à bien. Celui-ci a activement participé au chantier. Avec les conseils et sous le regard bienveillant de l’entreprise de menuiserie, il a dégradé une partie de l’enduit ciment de la façade et réalisé le remplissage en torchis lorsqu’il était manquant ou trop altéré pour être conservé ;
La restauration a techniquement été réalisée par Philippe Pliquet, menuisier, ainsi que par ses ouvriers. Perfectionniste, s’interrogeant en permanence sur le bien-fondé de son action, il a su intervenir avec efficacité et pertinence tout au long du chantier. Pour la peinture, il a été assisté par l’association Tiez Breiz, spécialisée dans la recherche et l’application des savoir-faire anciens ;
Les services de l’État et du ministère de la Culture ont participé au titre du contrôle scientifique et technique, avec l’intervention de Henry Masson, conservateur régional des monuments historiques (CRMH de Bretagne), de Fabien Sénéchal, architecte des bâtiments de France (UDAP du Finistère), et de Patrick Cathelain, ingénieur du patrimoine (UDAP du Finistère). Ce dernier a assuré le lien entre les différents intervenants et suivi régulièrement le chantier, aussi bien pour les aspects scientifiques, techniques qu’administratifs. Il a effectué les relevés de la façade, dessiné des propositions de restitution, organisé et suivi les réunions de chantier et assisté le propriétaire dans ses démarches avec les administrations ;
La Ville de Quimperlé a apporté un soutien de tous les instants, via ses services et, notamment, Morgane Toulgoat, directrice de la Culture, et les élus, soucieux de voir aboutir un projet de qualité participant à la redynamisation de ce secteur du centre-ville ;
Joëlle Furic, architecte, à l’origine du projet initial de restauration de l’enduit.
Ce projet de restauration a bénéficié du soutien financier de l’État et du ministère de la Culture, de la Ville de Quimperlé et du Conseil régional de Bretagne.